La collaboration entre le quotidien italien Domani et The Why Wait Agenda se poursuit: une enquête en plusieurs épisodes sur le choix d’avoir des enfants. Ce quatrième volet a été publié en italien dans Domani le lundi 22 mai 2023. Les femmes repoussent souvent le moment d’avoir des enfants ou renoncent complètement à en faire parce qu’elles devraient payer un prix trop élevé au travail. C’est horrible à dire ? Oui. Mais c’est aussi très vrai. De manière plus poétique : les femmes qui travaillent portent un châle invisible marqué d’une lettre écarlate très visible : le M de mère. Ou plutôt le U d’utérus. Car il n’en faut pas plus pour être victime de discrimination : cette simple possibilité.
« Depuis que j’ai vingt-trois ans, à chaque entretien d’embauche on m’a demandé si j’avais l’intention d’avoir des enfants, raconte Marta qui, à 47 ans, est aujourd’hui responsable marketing dans une entreprise d’Émilie-Romagne et n’a toujours pas d’enfant : « La question n’est donc pas seulement mesquine, elle est aussi très souvent inutile ! Une fois, dans une agence d’intérim, je me suis levée et je suis partie en disant que je ne voulais pas travailler dans une entreprise qui s’intéresse plus à mes projets personnels qu’à mes compétences. Ce qui m’a fait le plus mal ? Le recruteur était une femme ».
En Italie comme dans le reste du monde, les données confirment ce scénario. Les filles obtiennent de meilleures notes que les garçons à l’école ; celles qui vont à l’université décrochent un bon diplôme très tôt. Mais dès leur entrée dans le monde du travail, la discrimination commence. Dès les entretiens, en fait, malgré l’interdiction qui figure dans la loi italienne (le « code de l’égalité des chances »). Lorsqu’elles sont embauchées, le salaire est moindre : cinq ans après l’obtention de leur diplôme, selon Almalaurea, il est inférieur d’environ 20 % à celui de leurs homologues masculins.
Et puis, à un moment donné, vers 31 ans et demi — l’âge moyen du premier enfant pour les Italiens —, certaines deviennent mères. Pas trop souvent, certes. Elles ont en moyenne 1,25 enfant (cela semble étrange, mais dans les statistiques, même les enfants sont fractionnables). Et le maintien dans le monde du travail devient encore plus difficile.
Un équilibre impossible uniquement pour les femmes
Selon les données de l’Inspection du travail, 31.500 personnes ayant des enfants ont démissionné en Italie en 2021, en invoquant la difficulté de concilier travail et famille, pour des raisons liées aux services de garde (par exemple : l’absence de parents pour les aider, les coûts trop élevés des crèches et des baby-sitters) ou liées à l’entreprise (conditions de travail difficilement conciliables avec les besoins de garde des enfants, refus de l’employeur de flexibiliser les horaires de travail…). Plus de 30.000 étaient des mères actives, soit un pourcentage impressionnant de 96 %. Seuls un peu plus d’un millier de pères actifs ont démissionné pour ces raisons.
Le cliché selon lequel les femmes sont plus douées pour s’occuper d’autrui fait peser tout le poids ou presque sur les épaules des mères. Alessandra Minello, professeure de démographie à l’université de Padoue, l’a montré dans son essai Non è un Paese per madri (Laterza, uniquement disponible en italien pour le moment) et a démonté le « mythe de la maternité », véritable boulet pour toutes les femmes — même celles qui aiment être mères ! —, imaginant un avenir où les hommes, libérés des stéréotypes de genre, pourront réellement partager les activités d’aide à la personne et de parentalité sans se sentir dévalorisés, contribuant ainsi à rendre le marché du travail égalitaire.
Mais la réalité reste rétrograde. Si les mères qui travaillent ne parviennent pas à tout concilier, l’idée la plus répandue est que c’est leur problème. Elles peuvent abandonner leur travail. Ou en trouver un moins exigeant, à temps partiel. Après tout, pourquoi une femme a-t-elle des enfants si elle ne s’en occupe pas ? La maternité est le travail le plus important au monde, n’est-ce pas ?
Non. Le rôle de la mère est important, bien sûr, mais étant donné que les enfants sont généralement faits par deux personnes, le rôle du père l’est tout autant. Et le travail est essentiel pour tout le monde : il garantit l’indépendance économique et, pour les plus chanceux, il est aussi source d’épanouissement. Le choix que font certaines personnes — les femmes, la plupart du temps — de ne pas travailler pour s’occuper de leur foyer et de leur famille est parfaitement légitime, tant qu’il est libre (et viable).
Mais pourquoi celles qui doivent, veulent ou souhaitent travailler devraient-elles être jugées moins valables parce qu’elles ont des enfants à la maison, ou pourraient en avoir un jour ? Et pourquoi ce préjugé ne s’applique-t-il qu’aux femmes ? Ces neuf mois de grossesse et les mois de congé de maternité ou de réduction du temps de travail pour allaiter ne représentent qu’une fraction des plus de quarante années de vie professionnelle qui attendent chacun d’entre nous, depuis le premier emploi jusqu’à la retraite. Pourtant, ils semblent constituer un obstacle insurmontable.
Le congé de la discorde
À y regarder de plus près, les femmes salariées bénéficient en Italie d’un congé obligatoire payé par l’État (à hauteur de 80 % du salaire, pendant cinq mois). Les entreprises, elles, doivent continuer à verser des cotisations et parfois à combler la différence, afin d’atteindre 100 %. Certaines se plaignent de la difficulté de devoir engager une nouvelle personne pendant quelques mois pour un « remplacement de maternité », et il arrive en effet que le remplacement ne soit pas assuré, causant un mécontentement qui se propage aux collègues. Ou bien la personne remplaçante prend de façon permanente le rôle de la néo-mère qui, à son retour, se trouve « évincée » et, dans certains cas, poussée à démissionner. Les petites entreprises n’apprécient pas non plus de devoir payer d’avance les congés des femmes et d’attendre d’être remboursées par l’INPS, la sécurité sociale italienne.
En réalité, ce n’est pas le congé qui fait peur, mais les 10 à 15 prochaines années, multipliées par le nombre (pourtant limité) d’enfants qui viendront au monde. Pour lesquels il n’y aura peut-être pas de place à la crèche, qui tomberont malades, qui seront au bureau quand l’école sera fermée, qui participeront à des pièces de théâtre et iront au football. Ils nous priveront de temps et d’attention. Des enfants que le marché du travail persiste à considérer comme les enfants des seules mères, considérant qu’elles sont les seules à devoir gérer tous les imprévus : une discrimination a priori et à sens unique, et tant pis pour la parentalité partagée.
Le travail de care en entreprise
Sonia Malaspina le sait bien : en tant que responsable des ressources humaines chez Danone en Italie, elle a lancé une politique de protection de la carrière des mères dans l’entreprise qui a donné d’excellents résultats : retour à 100 % après un congé de maternité, absentéisme et turnover réduits au minimum. Autant de facteurs qui se traduisent par des avantages économiques pour l’entreprise, résultat d’une pratique simple : valoriser la maternité au lieu de la diaboliser.
Après avoir présenté le projet lors d’un TEDx talk, Malaspinaa écrit avec sa collègue Marialaura Agosta le livre Il congedo originale, qui vient d'être publié par Roi Edizioni avec le sous-titre « Pourquoi les entreprises ont peur de la maternité. 150 pages pleines de données et surtout la recette qui, données en main, prouve que la maternité n’est pas un handicap au travail. Bien au contraire.
Un énorme potentiel de compétences
« Nous sommes conscients que nous allons contre de siècles de culture, de pratiques et de modes de pensée, reconnaissent Malaspina et Agosta dans le livre, un défi qui peut sembler impossible à relever. Mais l’enjeu est trop grand : un monde du travail qui ne décourage pas la procréation. Ce n’est pas un hasard si le taux de fécondité chez Danone est supérieur à la moyenne italienne, et les employés ont également à leur disposition la plateforme de formation en ligne MAAM, Maternity as a master, qui leur permet de transformer les soft skills qu’elles acquièrent en s’occupant d’un enfant en compétences professionnelles. « La vie et le travail ne sont en aucun cas en conflit : ils génèrent des compétences et de l’énergie que les mères et les pères peuvent transférer d’une sphère à l’autre », explique sa créatrice Riccarda Zezza.
Se débarrasser d’une salariée lorsqu’elle a un enfant est une grave erreur, car on perd un énorme potentiel de compétences. Si les entreprises adoptaient cette vision de manière concertée, nous pourrions réellement entamer une révolution dans le monde du travail. Les femmes ne percevraient plus les enfants comme une menace pour leur vie professionnelle. Et elles seraient probablement plus nombreuses à en avoir, ce qui réduirait l’écart, aujourd’hui énorme, entre le nombre d’enfants désirés et celui d’enfants eus.
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